jeudi 31 mars 2011

La fenêtre en face

Elle se tient debout, le regarde perdu, vide, sans expression. Ses cheveux ont l'air gras et tout emmêlés. Ses joues sont creuses, ses lèvres n'ont plus vraiment de couleur. Elle se tient là debout et c'est comme si elle me regardait. Son regard me donne la chair de poule et je ne peux plus bouger. Est ce que c'est moi qu'elle regarde? Là bas de sa fenêtre, de l'autre côté de la cour. Son air hagard me fait frissonner. Je remarque qu'elle est nue. Sa peau est bleue par endroit. Elle n'a presque pas de seins. Des petits tétons bruns posés sur deux petites bosses. Et elle est là immobile, les bras le long du corps comme s'ils ne lui appartenaient pas. Les murs derrière elle sont gris. Et ce gris contraste avec la blondeur de ses cheveux et la pâleur de son teint. Tout est terne derrière sa fenêtre. Est ce que sa vie est terne aussi? J'essaie de lui sourire. Pour que le gris autour d'elle soit moins gris. Et rien ne change, toujours la même expression vide. Et j'aperçois que son bras se lève lentement. Très doucement elle le tend vers moi en ouvrant la main. Son geste est si soudain malgré sa lenteur que j'ai un mouvement de recul. La surprise peut être. Mais cela à suffit à ce qu'elle le baisse à nouveau. J'ai tendu le mien pour qu'elle voit que je ne voulais pas l'ignorer, mais elle ne communiquait déjà plus. J'ai vu son regard se porter au loin parce qu'elle n'avait pas pu trouver d'ancrage en moi. Elle a reculé d'un pas et a refermé ses fenêtres. Les murs gris ont disparus et je ne les ais plus jamais revu.

mercredi 30 mars 2011

Le pays où la vie est moins chère

Lentement elle traine son cabas derrière elle. Son dos est voûté, l'usure et la lassitude l'empêchent de se tenir droite. Elle passe de rayons en rayons en déchiffrant chaque étiquette, sa liste de courses et sa petite calculatrice à la main. De temps en temps elle grimace, repose un article et son regard se pose sur l'étage du dessous. Elle tend la main en se courbant un peu plus. Elle jette dans son cabas ce qu'elle vient d'attraper et soupire longuement en regardant avec envie les étages du haut. Si peut être elle faisait un écart...juste une fois. Elle reste un long moment le nez en l'air en se dandinant d'un pied sur l'autre. Elle essaie de se souvenir de la dernière fois où elle s'est fait plaisir...n'y arrive pas et très vite comme pour ne pas être prise en faute, elle attrape la tablette de chocolat de marque qui lui fait envie. Elle sent le rouge lui monter aux joues. Elle se redresse un peu et se sent toute drôle d'avoir osé. Son corps semble avoir pris de la hauteur parce que son dos n'est plus voûté. Durant un instant elle a cesser de se résigner.  Elle continue ses courses en chantonnant, elle se sent revivre avec sa tablette dans son cabas. Son pas est plus léger. Quand elle tapote sur sa calculatrice, ses doigts volent et les chiffres ne lui font plus tellement peur. 
La réalité lui revient en pleine figure quand elle prend la file à la caisse. Elle entend le bip récurent des articles scannés. Ça résonne en elle comme un avertissement. Elle imagine sa banquière l'a harceler au téléphone et se moquer de son découvert. Elle imagine les autres clients autour d'elle qui se moquent d'elle. Elle va jusqu'à imaginer ses enfants morts de faim parce qu'elle a voulu être égoïste et s'offrir du chocolat. Sa main tremble, elle sort la plaquette du cabas et la pose sur le côté. Elle ne peut pas se permettre cet écart et son dos reprend sa forme courbé. Son visage se ferme et c'est son tour de passer à la caisse.

mardi 29 mars 2011

Chut...

Comme se taire. Un silence. Un abandon. Quelque part sur une route non pavée. Même pas jolie. Et on s'oublie, demain, dans un an, mais on s'oublie. Et quand il n'y aura plus rien que le vide abyssal que nous aurons laissé alors nous pourrons vivre à nouveau. Au delà de ta frontière que je ne pourrais plus traverser. Ne dis rien, non. J'entends ton coeur saigner. C'est comme une pluie diluvienne. Tout nos souvenirs s'effacent sous cette marée violente. Cet au revoir n'a pas de sens. Je prend tes mots à l'envers et ils ne veulent plus rien dire. Je ne comprend plus et mes oreilles ne sont plus écorchées par cette fin. Une fin sans victoire. Sans vainqueur. Je me tais et le silence t'entoure d'un drap angoissant. Il y a tes pensées qui m'assaillent et ma peine ne tarit pas. Ne me suis pas, je ne sais pas où je vais. Reprend ta main. Tu me l'as trop tendue, je te la rend et n'en voudrais jamais plus. Reprend ton corps. Je ne le souillerais plus. Prends mon adieu et ne te retourne plus. Tu t'enfonce dans ton dégoût de moi, je m'enlise dans ma haine de toi mais notre amour nous entoure d'un linceul de rien. Plus rien à dire, ni ressentir. Je reprend la route, je ne t'entend plus et je pleure sur ta stèle. Celle que j'ai dressée en mémoire de nous. Ci-gît un amour mort.

lundi 28 mars 2011

Son ombre

Elle n'était plus celle que l'on avait connue. Il y avait cette ombre en plus qu'elle portait en elle depuis quelques temps. Qui saurait dire en fait depuis quand? Il y eut un matin ensoleillé et cette ombre planait déjà derrière elle. Elle vivait et sa vie se passait sous nos regards sans que personne ne puisse l'approcher. Oui, on pouvait tâter sa peau, effleurer son cou, certains même s'aventuraient à gouter ses lèvres. Mais on n'approchait jamais son coeur. Aucun d'entre nous. Elle le gardait jalousement intact. C'est ce que je croyais. En fait l'ombre qui assombrissait son regards c'était le défaut de son coeur. Il n'était pas intact. Elle le protégeait pour ne pas assombrir d'avantage sa vie. Parce qu'elle s'émerveillait de tout, elle s'émerveillait de rien mais jamais de nous. 
J'aurais tant aimé découvrir son secret. Si seulement elle entrouvrait la bouche pour se confier, je serais là et j'écouterais. J'entendrais ce qui lui enserre le coeur et peut être que je saurais la guérir. Et si je ne savais pas comment faire, j'essaierais tellement fort, tellement fort que son sourire s'éclairerait. Si seulement son regard se posait sur moi sans m'ignorer, je pourrais réparer son coeur. J'apposerais mes mains sur sa poitrine et avec une infinie tendresse je l'aimerais tant qu'elle m'offrirait son monde. 
Elle m'ignore toujours, elle me méprise. Je fais partie des autres, ceux qu'elle ne voit pas, ce qu'elle maudit. Alors en secret, en silence je continue à la regarder papillonner sans jamais se poser en gardant espoir. L'espoir qu'un jour elle se pose sur ma vie.